“Les Italiens le font mieux.” Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le nom du très chic label de Chromatics, Glass Candy, Symmetry et consorts, des groupes qu’on pourrait rapidement qualifier de post-italo disco. Seul hic : le post ici serait de trop ; d’une part parce que l’italo disco est indémodable, et d’autre part parce que leur catalogue de chansons ne sonne résolument pas plus moderne que celui de leurs modèles – les bruits de craquements façon vinyle chez Chromatics ou l’obsession Carpenter en général.
À l’inverse de la douce et rude rivière de l’existence qui s’écoule de manière chronologique, l’art possède ce don magique de tordre les flèches du temps. Ainsi les 80′s peuvent devenir postérieures aux années 2000. Les années 2010 encore plus 80′s que les 80′s elles-mêmes. On dit « régression » de manière péjorative, en oubliant que c’est la vie qui est mal foutue : pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas être ado dans les années 80 et redevenir enfant dans les années 2000 ? C’est un exemple.Et celui-ci sied particulièrement bien à L’Ultima Canzone, dernier morceau composé par Alex avec l’aide de Romain Guerret (Dondolo, Aline) avec un Rossi qui semble échappé du répertoire d’un chanteur italien inédit, avec pour le coup ladite naïveté qui rime évidemment avec maturité. C’est un compliment.
Talk over aux couplets puis envolées lyriques au refrain sur bidouillages Dondolistes, L’Ultima Canzone devait être celle de l’été indien, elle sera, comme il se doit, le tube de crème solaire de l’été italien. Et ce, qu’il y ait un été en 2012 ou pas, celui-ci ressemblant à un grand adieu prémonitoire (« non è la fine del mondo » rassure pourtant Rossi), et qu’il y ait l’Italie ou non qui s’illumine dans votre rétroviseur. Exactement comme sur la pochette de « Pas Vu Pas Pris » du plus-italien-des-chanteurs-français, Christophe : « Ce disque contient l’Italie. »
Alex Rossi : « Je deviens un chanteur de singles ! »Dernièrement, entre Je Te Prends et cette Ultima Canzone, Alex me le confiait sarcastiquement ; un peu comme les protagonistes de l’italo disco. Italo disco, italo disco… Okay d’accord, je rabâche ; les concernés ont voulu rendre un hommage sincère à ce « style » qu’ils aiment tant. Mais vers où il faut se tourner surtout, c’est du côté de la ritale sainte pop qui a agonisé la bouche ouverte il y a un an, il y a un siècle, il y a une éternité. Parapaparapapa… En terme de variété pop, L’Ultima Canzone contient ce que l’Italie n’est plus, c’est-à-dire un pays pouvant se vanter d’avoir la « meilleure variété du monde » (dixit Judah Warsky et dixit moi aussi).
Stendhal : « Les Français sont des Italiens tristes. »En effet, rarement vu un Italien désemparé. Musicalement parlant, la pop italienne est d’une mélancolie chaude à arracher les poils et à briser le cœur d’un ours. Benoît Sabatier, sur le même sujet : « Il y a un romantisme premier degré fantastique. Et souvent des écarts entre grande variété et avant-garde très surprenants. » Oui. Je me souviens. Alors je vais dire pire que ce que je déteste entendre (« c’était mieux avant ») : dans ce rayon, il n’y a plus grand chose maintenant. La pop italienne s’en est allée dormir vers des Paradis de blancs – Martini et tutti chianti. Des best-of ? Super ! On compterait presque autant de greatest hits de l’homonyme d’Alex, Vasco Rossi la pop star nationale (d’ailleurs, L’Ultima Canzone fait penser à Una Canzone per te pour la mise en abyme) que de nouveaux albums studio, ce dernier étant trop occupé à lustrer ses motos. Les petits nouveaux, quant à eux, semblent se disputer le prix du worst-off. Les génies s’en sont tirés au compte-goutte (les deux Lucio : Battisti il y a longtemps, Dalla cette année). De l’autre, les « restants » (Battiato, Venditti, Carboni…) sucrent les amaretti depuis qu’ils ont cassé leurs pipes à mélodies et brisé leurs verres ou leurs rêves. Oui, au tournant des soixante balais, on délire moins niveau alcool, ou question chimères, qu’à vingt. C’est dommage. J’en recauserai plus longuement, mais revenons à L’Ultima Canzone.
Alex Rossi lui, a la forme : jeune quadra dynamique, c’est son âge. Il est moins vieux que certaines connaissances qui seraient capables de se tailler des rides comme d’autres chercheraient à masquer leurs cheveux gris (cherchez à comprendre). Puis Alex Rossi boit bien. Quand on s’appelle Rossi (rouges), on ne parle pas de verres de trop mais de bouteille de pas assez ; dans un concours gonzo, on pourrait tenir longuement un bras de fer aviné jusqu’au petit matin, parce qu’en plus Alex danse souvent jusqu’à l’aube. Alors ce qu’il insuffle dans L’Ultima Canzone, ce n’est pas un vieux soupir lessivé mais un vent d’espoir sur la chanson italienne. Comme un adieu, les trois compères se font regretter sur un quai de gare – Alex & Arnaud & Romain d’Aline – pour qu’ils reviennent. L’Ultima Canzone, déjà !? Alors que ce n’est que la deuxième qu’Alex écrit et interprète dans la langue de Celentano (« sono francese ma il mio cuore si sente italiano », chantait-il déjà dans Tutto). Et comme on connaît la musique, on sait que c’est une feinte (il ne faut pas négliger la part « fiction » de la musique) : une autre chanson suivra, ce sera Gente di mio Cuore (« gens de mon coeur »), qu’on imagine déjà faire écho aux Copains du groupe précité.
Un single, un premier pas. Il faut maintenant passer au long format pour – délirons – sauver cette variété pop italienne qui, comme une célibataire, n’attend plus personne. Et pouf, le grand amour lui retomberait dessus et lui redonnerait des raisons d’y croire.
Alex Rossi aime énumérer (I’m Your Man de Cohen est une de ses chansons préférées) : « Non è un poema/ non è una ricetta/ (…) non è una lacrima ». Toute présentation devrait ressembler à ça : dire ce que l’on n’est pas pour enfin faire comprendre qui l’on est. En l’occurrence, Alex Rossi, donc : pas un chanteur français mais un nouveau chanteur italien, c’était sa dernière chanson dans la langue de Stendhal !!! Bravissimo.
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